Né sur TikTok à la mi-septembre 2024, Tanaland est bien plus qu’un simple phénomène viral. Cet espace virtuel réservé aux femmes représente une réponse créative et puissante aux violences et discriminations sexistes omniprésentes sur les réseaux sociaux. Ce projet, lancé par l’influenceuse Hadja, s’inscrit dans un mouvement de résistance féminine, de réappropriation linguistique et de lutte contre le cyberharcèlement.
Le nom Tanaland s’appuie sur le terme « tana », une insulte misogyne, dérivée de l’italien « puttana » et popularisée dans certains titres du rappeur Niska. Utilisé pour rabaisser les femmes de manière dégradante, ce mot est devenu un stigmate que les femmes ont choisi de retourner à leur avantage. Sur TikTok, la communauté féminine s’est appropriée cette insulte pour en faire un symbole de résistance et de solidarité, donnant naissance à « Tanaland », un monde fictif où la misogynie n’a pas sa place.
Ce monde imaginaire, entièrement « rose », représente une bulle de sécurité où les femmes sont libres d’être elles-mêmes, sans craindre le jugement ou les attaques des hommes. Avec une esthétique inspirée du film Barbie, Tanaland se veut volontairement hyperféminin, une manière pour les femmes de revendiquer leur identité sans concession ni censure.
Le succès de Tanaland s’explique par une réalité brutale : les violences numériques qui ciblent les femmes. En France, une étude de l’association Féministes contre le cyberharcèlement en 2022 a révélé que 84 % des victimes de cyberviolence sont des femmes. De plus, une enquête menée par ONU Femmes montre que 73 % des femmes dans le monde ont été exposées à une forme de violence en ligne, un phénomène encore plus sévère pour les jeunes, les femmes racisées et les membres de la communauté LGBTQ+.
Le cyberharcèlement se traduit par des insultes, des menaces, des campagnes de dénigrement, et d’autres formes d’abus qui contraignent les femmes à adapter, voire réduire, leur présence en ligne pour se protéger. Tanaland se présente comme un antidote à cette situation, un espace où les femmes peuvent se réapproprier leur identité, s’exprimer librement, et se soutenir mutuellement.
Tanaland ne se limite pas à un simple espace fictif ; il a tout un univers : passeport, carte d’identité rose fuchsia, journal télévisé (tenu par une sénonaise dont je ne citerai pas le nom mais que j’affectionne) 🫶🏻, et même un gouvernement symbolique. Ce mouvement de réappropriation s’illustre également par une démocratie virtuelle, où des « candidates » se proposent pour des postes de présidence ou de représentation.
Cependant, cette dynamique a entraîné quelques détournements. Par exemple, Polska, une influenceuse bien connue de Touche Pas à Mon Poste (TPMP), s’est autoproclamée « porte-parole » et « présidente » de Tanaland, sans en être la fondatrice ni l’initiatrice. Si sa visibilité attire l’attention sur le mouvement, il est essentiel de rappeler que Hadja est l’instigatrice de Tanaland. Son projet repose sur une vision bien définie de solidarité et de résistance, un travail que certaines figures médiatiques ne devraient pas s’approprier pour des gains de visibilité personnelle.
Le projet de Tanaland, bien que largement acclamé, a également suscité des critiques. Certains accusent les « Tanagirls » de banaliser une insulte sexiste. D’autres y voient une « réaction extrême » face à des comportements sexistes tout aussi extrêmes. Si le mouvement est controversé, il ouvre aussi la voie à un nouveau modèle de résistance féminine, proche de la génération TikTok et de ses outils d’expression, comme la vidéo et l’intelligence artificielle.
Tanaland marque une étape importante dans la lutte féministe en ligne. Là où le mouvement #MeToo a valorisé la parole dénonciatrice, Tanaland mise sur la réappropriation culturelle et l’esthétique hyperféminine pour revendiquer la présence et la liberté des femmes. Grâce à cet espace virtuel, les femmes trouvent un lieu de solidarité et de réconfort qui leur permet de réaffirmer leur identité.
En somme, Tanaland n’est pas une simple tendance éphémère, mais un symbole de la résilience féminine face aux violences numériques. Et dans ce mouvement, il est crucial de rendre hommage à Hadja, sa créatrice, qui a su transformer une insulte en une bannière de résistance et un refuge pour des millions de femmes.
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